Les pratiques funéraires attestent une prise de conscience sociale de la mort et leur ancienneté en Préhistoire a été et reste (notamment pour quelques chercheurs nord-américains) un sujet de controverse. En ce début de 21e siècle, en effet, quelques auteurs continuent à exprimer des doutes quant à la présence d’un traitement des morts avant le déploiement des hommes modernes. Pourtant le registre archéologique d’Asie du sud-ouest fournit des preuves de sépultures difficilement contestables datées du Paléolithique moyen en contexte moustérien.
Dans l’identification de l’intentionnalité d’un dépôt funéraire, une attention particulière doit être portée aux conditions du dépôt lui-même et à son environnement immédiat (observations fines sur le terrain, études micromorphologiques, etc.) ; il importe aussi de s’intéresser au cadavre et au décryptage de son évolution post-dépositionnelle (facteurs taphonomiques, séquence de gestes funéraires, etc.).
L’approche dynamique du dépôt suit plusieurs étapes : 1-reconnaître les effets de contrainte liés à la présence éventuelle d’une structure (dimensions de la fosse, par exemple), 2- mettre en évidence les conditions de décomposition du corps (espace colmaté, espace vide), 3- distinguer les dépôts funéraires primaires (lieu où le défunt repose depuis son dépôt), individuels ou multiples (inhumation simultanée de plusieurs défunts), 4- s’interroger enfin sur la présence d’autres gestes funéraires associés (dépôts archéologiques associés, prélèvement, etc.).
Quelques exemples sélectionnés au Levant Méditerranéen (Syrie et Israël), nous informent sur l’existence de gestes funéraires envers les défunts de la part des chasseurs cueilleurs nomades moustériens. Cette documentation et les datations radiométriques suggèrent, dans l’état actuel de notre connaissance, que l’origine de la pratique de la sépulture, mais aussi celles de l’inhumation associant 2 défunts et du dépôt archéologique associé au défunt, peuvent être situées au Levant, autour de 100 000 ans avant le présent. La pratique de l’inhumation intentionnelle a perduré au Levant sur plusieurs dizaines de millénaires et est le fait de populations au phénotype différent.
La sépulture primaire est essentiellement individuelle et intéresse toutes les classes d’âge sans distinction. La position du corps telle qu’elle nous est restituée par celle du squelette, comme son orientation par rapport aux points cardinaux, est variable. Quel que soit le site, les sépultures sont indissociables du lieu ayant également servi d’habitat temporaire pour ces populations nomades, même si leur distribution spatiale peut varier d’un site à l’autre: à l’intérieur de la grotte ou à l’extérieur. Un seul cas de sépulture multiple, associant 2 défunts, l’un relevant de la classe 15-19 ans et l’autre âgé d’environ 6 ans, est connu dans le site de Qafzeh. Pour le plus jeune des défunts, la présence d’une craniosténose unilatérale droite (qui n’est pas létale dans les populations actuelles compte tenu de son traitement) peut être mise en relation avec le décès du sujet.
Les exemples de dépôt archéologique associé au défunt sont exceptionnels et font abstraction de l’âge du défunt. Pour l’un d’entre eux, concernant un(e) jeune adolescent(e) à Qafzeh, il est possible d’envisager une relation entre ce dépôt et la pathologie traumatique ayant handicapé le sujet (âgé d’environ 13 ans) durant sa courte vie et entraîné son décès. On se trouve là en présence d’un témoignage d’empathie vis-à-vis du jeune défunt qui pourrait peut-être s’inscrire dans une idéologie funéraire spécifique au groupe.
Enfin l’hypothèse d’un geste funéraire additionnel peut être avancée avec la sépulture de l’adulte Kebara 2 sur le Mont Carmel dans la plaine côtière au sud de la ville de Haïfa, du fait de l’absence du bloc crânio-facial. On ne peut aller plus loin dans l’interprétation de ce geste en l’absence d’autre indice, même si l’on sait que la pratique du prélèvement du crâne, voire de son surmodelage, est reconnue à une période plus récente au Levant.
En conclusion, les Moustériens en Asie du sud-ouest, populations de chasseurs cueilleurs nomades, mourraient sans aucun doute aussi en dehors des grottes /habitats, mais la découverte d’un dépôt funéraire hors de tout contexte archéologique a, a priori, très peu de chance de se faire puisque les opérations de fouilles se concentrent sur les structures ayant livré des indices archéologiques. Plusieurs constats s’imposent: (1) aucun indice matériel, ou du moins aucun en matière non périssable, ne permet de repérer le lieu du dépôt du corps, (2) le nombre de dépôts funéraires attestés reste limité par rapport à celui de l’échantillon total des sujets (moins de 25%) mis au jour, (3) leur lien avec le lieu d’habitat temporaire semble une évidence, mais il est soumis au filtre des opérations de fouilles programmées; (3) il n’est guère possible d’affirmer que le faible nombre de sépultures attestées s’explique par une sélection des défunts.
Pour en savoir plus
COQUEUGNIOT H., DUTOUR O., ARENSBURG B., DUDAY H., VANDERMEERSCH B.,TILLIER A-m., 2014.- Earliest cranio-encephalic trauma from the Levantine Middle Palaeolithic: 3D reappraisal of the Qafzeh 11 skull, consequences of pediatric brain damage on individual life condition and social care. PLOS one, 9, 7 : 1-10
DUDAY H., P. COURTAUD P., CRUBEZY E., SELLIER P., TILLIER A-m., 1990. – L’anthropologie “de terrain” : reconnaissance et interprétation des gestes funéraires. In: CRUBÉZY E., DUDAY H., SELLIER P., TILLIER A-m. (dir.), Anthropologie et Archéologie : dialogue sur les ensembles funéraires, Numéro spécial Bulletins et mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, 3-4 : 29-50.
MORTILLET G. de, 1883. – Le Préhistorique. Antiquité de l’Homme. Paris, Reinwald.
TILLIER A-m., 2013. – L’homme et la mort. L’émergence du geste funéraire en Préhistoire, 2e édition, Paris, BIBLISCNRS Editions.